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Photo du rédacteurMaude Paquette

Mon GPS a fait défaut (Partie 1)

Dernière mise à jour : 19 sept. 2020


J'ai perdu le nord. Pendant quelques semaines qui m'ont semblé des mois, mon GPS s'est éteint. Ma boussole a sauté. Je ne voyais plus clair et c'est exactement les mots que j'ai utilisés pour tenter du meilleur de mes capacités de te l'expliquer: je ne sais plus où je me trouve par rapport à ma ligne.


''Ma ligne''. C'est comme ça que j'imagine mon cheminement vers l'abandon de mes relations depuis que j'ai l'âge d'imaginer une telle chose. J'ai un point de non-retour et, si cette ligne est franchie, c'est peine perdue. C'est alors une question de temps avant que je me fasse une assez grande provision de courage pour tourner la page et passer à autre chose. Cette ligne a été franchie à deux reprises avant toi. Des relations de plus ou moins trois ans, sans enfants et sans réelles attaches outre les souvenirs et l'univers familier de l'autre. La première comme la seconde fois, ça a été un processus de presqu'un an. C'est long, faire mes provisions, parce que j'aime un peu trop le confort de ma sécurité émotionnelle.


Je ne croyais jamais franchir ma ligne avec toi mais, pendant ces trop longues semaines, ma vue était embrouillée. Après des milliers de moments magiques partagés, des centaines d'histoires à raconter, des dizaines de chicanes qui nous ont fait grandir, neuf ans de vie commune et deux enfants parfaits, j'ai eu peur. Au beau milieu de cette vie à laquelle j'ai toujours rêvée et qui est devenue ma réalité, grâce à toi, grâce à moi, j'ai eu peur. J'ai eu peur de ma foutue ligne.


À un point tel que j'ai commencé à ramasser mes provisions de courage. Je faisais mes petites provisions comme un écureuil devant l'hiver infernal qu'il sait le guette. J'entraînais tranquillement mon cerveau à se faire à l'idée que je deviendrais bientôt ma seule source de tout, pour ne pas dire les mots qui résonnent si faux dans ma tête: je serais une mère monoparentale, une mère célibataire. Je regardais des maisons à vendre dans un budget que je pourrais me permettre seule, des appartements à louer près de notre maison pour rendre cette nouvelle approche de la vie familiale la plus harmonieuse possible. Je m'imaginais mourir de peine en attendant le retour de nos enfants de chez toi. Je me voyais aussi faire l'épicerie en ne tenant compte que de ce que moi j'avais envie de manger et enfin! Je m'imaginais adopter un chaton comme j'en rêve depuis si longtemps. Le soir venu et les enfants couchés, je t'évitais gentiment. Je me terrais dans notre chambre avec du travail ou Netflix. Je me tenais occupée parce que probablement que, bientôt, je devrais trouver du réconfort dans ma solitude.


Il y avait quand même toujours cette petite voix qui prenait ton bord. Quand je m'imaginais le jour où je devrais accepter le fait que tu ferais de la place dans ta vie et celles de nos garçons pour une autre femme, ça me déchirait par en-dedans. Par jalousie, évidemment, mais surtout parce que je t'aimais toujours. Quand je m'imaginais ton absence, l'envie de te parler de tout et de rien et de ne pas pouvoir le faire, quand je pensais au vide que je ressentirais sans ta chaleur près de moi à tous les jours, je manquais d'air. Mais alors mon cerveau me répétait que j'en avais marre de certains petits trucs qui me tombaient sur les nerfs. Il rouvrait de vieilles plaies et les refaisait saigner. Il me rappelait que j'en avais assez de faire des compromis, de devoir tout négocier et de devoir rendre des comptes sur mes choix et mes envies. Une partie de moi criait pour sa liberté et son indépendance, alors que l'autre ne supportait pas l'idée de laisser tout le chemin qu'on avait fait ensemble mourir en cul-de-sac. Mon GPS était mort et ma boussole était vraiment pétée.


Avec du recul, la chance de prendre du temps seule et beaucoup de repos, j'ai réalisé que c'était pas ça. La vérité, c'est qu'en se tenant au centre du tourbillon incroyable qu'est la vie de parents de jeunes enfants, ça se peut qu'on devienne étourdis et qu'on perde pied. Le fait est que, en devenant parents, on s'est retrouvés au coeur d'un terrifiant et magnifique tsunami qui a engloutit nos vies de trentenaires un peu égoïstes toujours en pleine découverte de soi et du monde et que, dans l'épais brouillard que peuvent sembler être toutes les responsabilités que représentent la marmaille, la maison, le travail et le calendrier qui déborde, c'est normal de perdre son chemin. D'étouffer. Que nos tripes se crispent et s'entremêlent à cause d'un trop-plein de tout. Alors, il faut faire le vide une fois de temps en temps. Le vide, ça peut se faire de bien des façons. En méditant, en faisant du sport, en écrivant, en allant prendre une marche. En parlant.


C'est ce que je t'ai dit quand j'ai enfin retrouvé ma vue et que j'ai tenté de t'expliquer ce qui s'était passé en moi: c'est comme si ma vie a évolué plus vite que moi. J'ai l'impression de courir après ma vie d'adulte remplie de brassées de lavage et de rendez-vous chez le docteur alors que je ne suis encore qu'une ado qui attend la cloche pour sortir jouer dehors. Et perdue à travers tout ça, j'ai mêlé les cartes et j'ai cru que c'était nous, la source de mon mal-être.


Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait face à un orage aussi violent. Une belle crise existentielle qui a ragé fort dans mon coeur et dans ma tête. Je suis chanceuse de t'avoir à mes côtés. Je te suis tellement reconnaissante d'avoir eu la patience de m'attendre à la rive. Parce que cette tempête-là, c'était à moi de la traverser et si tu avais insisté pour m'aider à ramer, on aurait tourné en rond. J'avais besoin de charger les batteries de mon GPS. De réparer ma boussole. Maintenant, ma map ne pourrait pas être plus claire et l'horizon, prometteur et lumineux.



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