Par Maude Paquette
La séparation du père de mes enfants est sans doute l’épreuve la plus grandiose que j’ai eu à traverser jusqu’à maintenant.
Les trois premières semaines, j’ai stéréotypiquement (ça vaut la peine d’inventer le mot) mangé de la crème glacée à même le pot, du chocolat toutes catégories confondues (Nutella, Lindt, Chipits, aucune discrimination), et des boites de Kraft Dinner comme une pas-de-fond en me gavant d’épisodes de The Office et de Desperate Housewives. J’ai trempé dans une quantité irraisonnable de bains chauds niveau cuisson de l’épiderme, brûlé jusqu’au dernier millimètre de mèche une caisse entière de chandelles et porté mes p’tites culottes les plus laides (ô si confortables) et mes t-shirts trop grands à les rendre transparents à force d’usure.
J’ai allègrement laissé mes cheveux devenir dégueulasses, j’ai accepté que les gars regardent beaucoup trop de télé et j’ai dansé toute seule dans ma cuisine sur des chansons arrache-tripes, au beau milieu de la nuit, le volume au fond, jusqu’à m’épuiser complètement et me coucher en étoile sur le plancher pour mieux fixer le plafond. J’ai parlé à pas grand monde. Je me suis emballée dans un petit cocon de solitude dont j’avais profondément besoin. J’ai fait tout ce qui, pour moi, représentait un tout-inclus de self-care plein luxe. Cheveux gras, mais hygiène buccale impeccable (quand même, wô).
Après ces trois semaines que je me suis accordées sans culpabilité et de pleine conscience, je me suis sentie prête à enclencher la phase santé. Je me suis connectée à la nature en reprenant assidûment la randonnée, je me suis remise à m’entraîner quotidiennement, j’ai fait du ménage dans mon entourage et dans mon frigo. Je me suis créée une routine avec les garçons et j’ai trouvé mon rythme, mon équilibre.
J’aime à dire que lors de mon départ, je me suis lancée vers beaucoup d’inconnu, pour ne pas dire ''garrochée en bas d'un pont'', et que j’ai atterri à bord d’un p’tit Zodiac de survie, sur une mer houleuse. Une mer à la merci d’un climat incertain, qui allait me faire connaître de bien grandes vagues avant que je trouve une embarcation un peu moins à l’étroit que mon Zodiac ou mieux, que j'accoste à ma prochaine destination.
Sept mois plus tard, je suis encore sur mon Zodiac de survie. Je m'y sens un peu coincée, parce qu'il est temps et que je suis prête à commencer à évaluer mes options. Je me situe dans un carrefour, je me tiens devant une page blanche. Pas tout est blanc, évidemment. Y a quelques certitudes réconfortantes sur lesquelles je peux m’appuyer (y en a toujours, suffit de regarder autour de soi).
Je les aime, ces moments de grands virages, de grandes décisions. Ils nous obligent à se recentrer et à s’assurer qu’on est toujours sur la bonne route, qu’on ne s’est pas endormi au volant pendant un p’tit bout et passé tout droit à une sortie qui est importante pour soi. 2020, avec la pandémie qui frappe de plein fouet l’entièreté de la population mondiale, amène ce vent de renouveau qui pousse un pourcentage élevé de gens vers ces carrefours. Certains saisissent l’opportunité pour réévaluer leur situation géographique, d’autres leur niveau de santé mentale et/ou physique. Beaucoup revisitent l’intégralité de leurs choix de vie.
Ce projet qui dort depuis quelques années, on le sort des boules à mites? Ce surpoids qu’on cultive, la tête dans le sable (lire dans le fond du sac de chips), on s’en débarrasse une fois pour toutes? Ce voyage qu’on meurt d'envie de faire, ce déménagement pour être plus près de sa famille, cette déclaration d’amour éteint qui nous éteint, celle d'un amour naissant qui nous brûle les lèvres et le coeur en entier, ce changement de carrière qui nous redonnera envie de se lever le matin, la prise en main du budget et d'objectifs financiers, le développement de cette compétence ou de ce talent qui éveille la passion en soi, on s’y met?
La plupart, incluant moi, vivent ces moment de grands questionnements parallèlement à un degré d’anxiété variable. Il n’y a rien de plus normal et humain. Parfois, il faut savoir s'arrêter et se permettre le mode shut down, pot de crème glacée et bain chaud, et c'est ben correct. J'ai lu ça quelque part l'autre jour et ça m'a parlé: Personne ne bénéficie de ta présence quand tu n'es capable que de donner 2% de toi-même. Recharge tes batteries et reviens en force.
Dans mon cas, j’ai mis dix ans à construire une réalité qui n’est plus. Je dois réinventer une partie de mon monde en tenant compte qu’il englobe aussi celui de H&H. Je ne peux pas accoster n’importe où ou monter à bord de n'importe quel navire, j’ai certains barèmes desquels tenir compte. Mais, je peux commencer à couler une nouvelle fondation tranquillement, petit à petit ou, pour continuer dans le sens de ma métaphore, commencer à construire la coque de ma prochaine embarcation.
La mer que je navigue est toujours houleuse, par moments. Il y a bien encore quelques vagues que j’aurai l’impression auront la force de me faire chavirer. Il y en aura toujours. Par contre, je peux me construire un beau grand bateau, et les bien grandes vagues me paraitront un peu moins hostiles, au point où même la toune de feu Gerry Boulet se gardera bien de faire monter en moi une marée haute.
S’agit de faire confiance à son GPS (dis-je, entre deux cuillerées de Ben & Jerry's). Si y a quelque chose que j’ai appris à travers tout ça, c’est bien qu’il se trompe rarement. Et, si le signal n’est pas assez fort pour que le chemin se dessine clairement, là là, tout de suite... Patience, ça viendra. Mange ta sandwich.
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